encore des mots

Agenda


Marie en colère
toute sa vie

tous les matins
elle écrit dans

son long agenda noir

Pierre tombale
le temps du jour
2 3 mots gris pluie vent soleil



monument d'insignifiance
le soir
une visite
un article du Dauphiné
un avis de décès une visite

toute sa vie
en gris colère
Marie 



La photographie



la chambre n'a pas changé

elle est là dans un coin

 
maintenant que le magasin est fermé vendu

 
et que tu as pris ta retraite la mère
quand tu t'es installé
elle git là

 
comme un tapis moisi
comme une semelle dépareillée

comme une boite à musique dont tu as perdu la clé

ils avaient dit qu'ils revenaient
ils pensaient qu'ils reviendraient

la chambre n'a pas changé

lumineuse
claire
dents de perles
la photo de la jeune fille 


Georgia

on my mind

une jeune fille
grise qui bouge dans un film muet
aux cheveux touffus
du Mississippi

 elle rit elle regarde le fleuve
elle nous regarde


plus tard elle meurt
en avalant de la soude caustique
dans un HLM en 1967

je l'ai rencontrée au Bon Pasteur
un peu amies

elle habite l'immeuble où vit ma couturière

le surnom du film l'a dévoré
je ne sais plus ni son nom ni son prénom



J'ai trouvé par hasard celui de l'actrice dans les films de Charlot:

Georgia Hale

 


pour l'enfant qui ne dansait pas 

 


Sur les étagères
dans les placards
entre les vieilles hosties
et les reliques 
elle n'a pas oublié 

la visite de l’évêque et de la princesse



les petits chevaux qui tournent en rond dans le jouet
la monnaie morte
de l'empereur de toutes les saintes russies
place des Victoires
jouer à je déclare la guerre 



les portes d'école comme des cénotaphes
notre dame des massacres
saint esprit charognard



le temps ne passe pas 
pas de fête
pas de mouvement un ordre impavide et marmoréen
semelles de marbre



pas de musique

 contrôler
rendre l'immobilité aux images
l'inconscient figé 
comme une coulée de mauvais miel



un oiseau mort
un oiseau mort
un oiseau mort
un oiseau mort
 

un oiseau mort
un oiseau mort
un oiseau mort
le temps qui passe met sur tout 
son immobile violence
 
(Dans la plante grasse que j'ai récupéré à la mort de ma mère, j'ai trouvé au milieu des épines un oiseau mort desséché.)
 

Cruelles oiselles

Celles qui du ciel...après Prévert




Celles qui avalent  des aiguilles à repriser chaque fois qu'elles sourient

Celles qui s'asseyent sur un siège de vertèbres
Celles qui tissent des persiennes d'ennui

Celles qui  ferment les fenêtres quand vient le printemps
Celles dont le deuil est l'exultation de la santé


Celles qui marchandent les romans photos
Celles qui voyagent dans les salles d'attente


Celles qui noient leurs parents dans des bassines en zinc
Celles qui sont un corps de trop ou pas assez tous les jours


Celles qui mettent des crocodiles empaillés sous le buffet Henri II
Celles qui ouvrent leur parapluie sous une averse d'horloges

Celles qui cirent les marches des escaliers en ruine
Celles qui tricotent des moufles pour le soldat inconnu


Celles qui entrebâillent leur corsage pour laisser respirer la vipère
Celles qui comblent les puits avec des hosties
Celles qui tombent des nues dans la fosse d’orchestre


Celles qui il ne m'a pas oubliée il viendra elle viendra dimanche prochain
était occupé n'a pas pu venir cette fois

Celles dont les vêtements tremblent dans les ascenseurs
Celles qui vont au théâtre à travers les trous de serrure

Celles qui ne connaissent qu'un seul nom de rue comme pays
Celles qui ne savent ni le prénom de leur père ni celui de leur mère

Celles qui voient la mer sur le couvercle de la boite de biscuits
le sourire de celles qui écoutent les pierres


Celles qui font de la tapisserie un bégaiement chromatique
Celles qui prient des chiens à géométrie variable

Celles dont la lampe de chevet est un gros rat noir hargneux
Celles coupables des crimes commis en rêve par des femmes grecques

Celle qui envoie la même carte postale de la tour Eiffel chaque nouvel an
Celles dont la mère est morte avant leur naissance

Celles pour qui ont des oiseaux morts comme frères
Celles qui entendent les voix des héros et ne comprennent pas la langue qu'ils parlent

Cruelles oiselles
 
 


Rêve de lune


je regarde la lune dans le ciel peu à peu elle me pénètre
et devient mon ventre
j'ai le rayonnement de la lune à la place du ventre




on sonne
on frappe violemment à la porte
je me réveille en sursaut et de mes yeux embrumés
j’aperçois
un petit type brun
 
qu' est-ce que c'est 
je demande
c'est l'aiguiseur
non merci je n'ai rien à aiguiser 




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